La Macklowe Gallery présente une rare collection de bijoux signés Marcus & Co., qui redonne vie à l’histoire, trop souvent oubliée, de cette maison exceptionnelle que j’affectionne particulièrement. Chaque pièce — par la justesse du dessin, la virtuosité de l’émail plique-à-jour, l’usage expert du platine et un choix de gemmes audacieux — raconte un moment de la Maison, de l’élan Art nouveau aux volumes Rétro, et montre combien Marcus & Co. a su traverser les styles de son temps avec une grande maîtrise.
De Dresde à New York: la naissance de Marcus & Co.
Née du parcours transatlantique d’Herman Marcus, Marcus & Co. s’inscrit dans la joaillerie new-yorkaise dès 1892. Formé en Allemagne (chez Ellemeyer, joaillier de cour à Dresde), Herman émigre à New York en 1850. Chez Tiffany & Co., il passe des ventes aux ateliers grâce à sa maîtrise rare de l’émail — encore peu pratiqué aux États-Unis — et représente la maison à l’Exposition universelle de Paris en 1878.
Après Starr & Marcus (1864), il fonde Marcus & Co. au 857 Broadway avec ses fils William et George (dessinateur principal). La signature s’affirme vite : or et platine finement travaillés, goût prononcé pour la couleur (saphirs, rubis, émeraudes, mais aussi alexandrites, opales, démantoïdes) et virtuosité de l’émail plique-à-jour. Les voyages réguliers en Europe nourrissent un dialogue avec Lalique, Vever ou Colonna. En 1908, la maison frappe les esprits en revendiquant l’achat d’un important lot d’opales noires de Lightning Ridge et en promouvant cette gemme encore entourée de superstition — un choix audacieux qui élargit le goût du public américain.
Les décennies suivantes voient l’esthétique évoluer sans renier ses fondamentaux : naturalisme raffiné, précision d’atelier et sens des matériaux. Les années 1930–1940 apportent des formes plus sculptées (coquillages en pierre de lune, compositions florales volumisées). Fragilisée par la guerre et les pénuries de platine, la maison est rachetée par Gimbelsen 1941, puis fusionne en 1962 avec Black, Starr & Frost. Si l’entreprise a disparu, ses bijoux — rares, muséaux, très collectionnés — perpétuent l’exigence et l’audace de Marcus & Co..
La collection présentée par la Macklowe Gallery
La Macklowe Gallery réunit un ensemble rare de bijoux signés Marcus & Co., qui met en perspective deux moments forts de la Maison : le naturalisme émaillé du début des années 1900 (émail plique-à-jour, volumes botaniques) et l’élan plus sculpté des années 1930-1940 (pierre de lune, saphirs, motifs marins et floraux). Chaque pièce, unique par sa main et sa matière, éclaire la continuité du regard Marcus & Co. : la nature comme langage, la technique au service de la lumière.
Marcus & Co. — Broche Iris en émail plique-à-jour (c. 1906)
Créée vers 1906, cette broche iris de Marcus & Co. marie émail plique-à-jour et or 18 ct. En véritable sculpture naturaliste, elle montre deux corolles (dont l’une retournée), des feuilles ondoyantes nuancées de jaune et de brun, et des tiges ramifiées travaillées en basse-taille. D’une délicatesse exceptionnelle pour son format, elle incarne la rencontre du dessin new-yorkais et des savoir-faire français de l’émail.
Pièce de la grande série florale de la maison, elle est vraisemblablement dessinée par George Marcus et issue d’une collaboration entre ateliers parisiens et américains. Aujourd’hui non signée (plaque retirée lors d’une modification), elle reste identifiable par sa structure et sa main. En 1906, les vitrines Marcus & Co. exposant ces fleurs émaillées firent sensation sur Fifth Avenue — au point de stopper les passants.
Marcus & Co. — Pendentif Orchidée en émail plique-à-jour (c. 1906)
Créé vers 1906, ce pendentif cattleya de Marcus & Co. marie émail plique-à-jour, diamants et perles de conque, monté sur or 18 ct à doublage platine. La fleur, aux cinq pétales ondulés, descend d’arabesques serties et porte des bourgeons de perle de conque sur des tiges articulées en diamants.
Très tridimensionnel, il conjugue nuances délicates, fragilité maîtrisée et naturalisme saisissant.
Marcus & Co. — Bracelet Saphirs & Pierre de Lune (début 1940s)
Monté en platine, ce bracelet aligne des coques d’oursin sculptées en pierre de lune, ponctuées de saphirs ronds et de diamants, reliées par des rubans de saphirs calibrés. Des coquilles taillées s’intercalent, et le fermoir prend la forme d’une coquille Saint-Jacques en pierre de lune. Les bleus intenses et laiteux des gemmes évoquent la lumière de l’océan et la vie des fonds marins.
Conçu au tournant des années 1939-1942, il illustre le retour de Marcus & Co. au naturalisme sous des formes sculptées (coquillages, hippocampes, oiseaux). Des inscriptions au revers indiquent une commande spéciale – possiblement le remontage d’un ancien bijou de la maison (vers 1910) enrichi et réimaginé dans un esprit moderne.
Marcus & Co. — Broche Coquille en pierre de lune, saphirs & aigues-marines (fin 1930s)
Broche-clip en or blanc figurant une coquille de Triton : corps en pierre de lune sculptée aux spires pavées de diamants, traînée d’aigues-marines à dessus poli et de saphirs ovales et coussin, soulignée de diamants taille ancienne, pentagonaux et triangulaires. Pièce chic et enjouée, elle traduit la réponse de Marcus & Co. aux styles parisiens des années 1930 (Art Moderne, Rétro) : une harmonie de bleus subtils et francs qui exalte le phénomène vaporeux de la pierre de lune. Les numéros au revers laissent penser à une commande spéciale, possiblement intégrant des pierres du client.
Marcus & Co. — Broche Tournesol Rétro (c. 1941-1942)
Broche fleur montée en platine, pavée de grenats spessartites flamboyants, pétales en topazes rosées et tige/feuilles en tourmalines, rehaussées d’un bourgeon pentagonal. Très tridimensionnelle, elle affiche une palette chaude et une présence sculpturale typiques du style Rétro en temps de guerre.
Dernier grand chapitre de la série florale de la maison, ce tournesol traduit le virage des années 1930-40 vers des volumes gemmés (orchidées, muguet, gardenias, roses) initié dès 1936. Une pièce-manifeste assurance, couleur et savoir-faire Marcus & Co. portés à leur apogée, peu avant la fermeture de la firme.
Marcus & Co.: Three Generations of New York Jewelers
Cette monographie illustrée sur Marcus & Co., coécrite par Sheila Barron Smithie et Beth Carver Wees, retrace l’histoire de la maison de 1892 à 1942. Elle éclaire le rôle de la famille Marcus dans la création de bijoux Art nouveau et Art déco pour une clientèle d’élite, et replace cet essor dans le contexte de l’industrie new-yorkaise — Grande Dépression, Seconde Guerre mondiale. L’ouvrage est richement illustré de pièces majeures, de photographies d’époque et de dessins d’archives
Prix : 73,71 € – Chaque exemplaire est signé par les autrices et disponible en exclusivité à la Macklowe Gallery avant une sortie plus large à la mi-novembre.